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Comment a-t-on pu arriver à 40% de chômage dans le privé ?

 

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  Par Francis JOURNOT       Tribune du  7 mai 2014 sur MARIANNE      

 En moins de quarante ans, le nombre de demandeurs d’emploi serait passé, selon des études, de 1 million à plus de 9. 

Francis Journot évalue ainsi à 40 % le taux de chômage dans le secteur privé et s'interroge : « Les représentants des gouvernements qui, depuis trente-cinq ans, affirment que la lutte contre le chômage constitue une priorité, sont-ils sincères ? »982382 1164254 

Dés 1974, le taux de chômage a entamé son ascension pour atteindre fin 1985, un niveau, qui, si l’on en croit les chiffres égrenés par les gouvernements successifs, se serait, au fil des années, le plus souvent maintenu autour de 10 %. Mais il est permis de douter de la pertinence de la méthode. En effet, la définition du chômeur au sens du Bureau International du Travail (BIT) ne comptabilise que les inscrits n’ayant aucune activité. En France, ce groupe qui représenterait 3,3 millions de personnes, est répertorié en catégorie A de Pole Emploi. Le taux ainsi calculé, ne serait jamais descendu au dessous de 7,7 % (2001) mais n’aurait en revanche, jamais excédé 10,8 % (1993) ou 10,9 % (1997) de la population active.Un taux de 10 % avec une probabilité moyenne de 9 chances sur dix de trouver un emploi, ne serait pas si inquiétant et chacun d’entre-nous aurait sa chance, si toutefois, ce taux, calculé selon la méthode du BIT, exprimait la réalité de la situation. Mais, depuis la deuxième moitié des années 70, le nombre de demandeurs d’emploi serait, selon des études, passé de 1 million à maintenant 9,5 millions.  

DÉNI DE RÉALITÉ 

En 1993, le nombre de chômeurs franchissait le seuil historique des 3 millions. Mais deux décennies plus tard, la France compterait toujours, selon les chiffres officiels, environ 3 millions de chômeurs (3 349 300 en mars 2014) parmi 6 millions d’inscrits. Mais deux études, l’une publiée sur Le Parisien / Aujourd’hui en France (« Le chiffre noir des chômeurs invisibles ») et l’autre par France 3 (« Les vrais chiffres du chômage »), révélaient en décembre 2012 que la France pourrait compter 9,2 ou 9 millions de demandeurs d’emploi. Et si l’on répercute la hausse du nombre de demandeurs d’emploi durant les seize derniers mois dont celle de 5,7 % en 2013 selon l’INSEE, le nombre pourrait maintenant dépasser 9,5 millions. 

Il convient, afin d’obtenir un taux significatif du chômage, de dissocier secteur privé et public. En effet, les agents bénéficient généralement d’un travail pérenne et ne sont que plus rarement confrontés à ce fléau. De plus, le taux ainsi exprimé interpelle sur la difficulté effective de trouver un emploi. 

La population active totale compte aujourd’hui 29,8 millions de travailleurs dont 5,5 millions d’agents de la fonction publique d’État, territoriale et hospitalière. Le secteur privé dénombrerait 24,3 millions de travailleurs dont 9,5 millions de demandeurs d’emplois. Soit une probabilité d’être touché à des degrés divers par le chômage qui atteindrait 39 % dans le secteur privé. 

UN CHÔMAGE PLUS STRUCTUREL QUE CONJONCTUREL

Depuis quarante années, les gouvernements ont préconisé une autre économie, mais n’ont guère proposé, par manque de clairvoyance, par incompétence ou par subordination au dogme néolibéral du libre-échange, de solutions à un chômage grandissant qui promettait d’atteindre des sommets quelques années plus tard. Ainsi, les fermetures d’usines ont participé à l’apparition d’un chômage structurel qui, depuis cette époque, n’a jamais cessé de grossir. Il est à craindre maintenant, qu’aucune amélioration conjoncturelle, quelque soit le niveau de croissance, ne permette de le résorber. 

Par ailleurs, l’inadéquation ou la carence d’offres d’emploi, compromet ou interdit l’accès au travail d’une importante population devenue inemployable. Le nombre de salariés du secteur privé en emploi à temps plein et en activité, ne compterait aujourd’hui, sur une population totale de 66 millions d’habitants, que 15 millions de salariés dont plus d’1 million employé par des organismes privés assurant des missions de services publics, des organismes divers d’administration centrale, des associations, commissions, etc., généralement financés par l’argent public. 

Lors de la désindustrialisation entamée dés le début des années 70, la France, encore en plein emploi, comptait prés de 22 millions d’actifs dont 2,1 millions de fonctionnaires pour une population totale de 50 millions d’habitants. Aujourd’hui, le taux de salariés français au regard de la population totale, compte parmi les plus faibles des pays industrialisés. 

L’économie française n’est plus cohérente. Notre pays n’a guère le choix et doit recréer 1 à 2 millions d’emplois industriels, susceptibles de générer plusieurs autres millions d’emplois indirects et induits. En modifiant les modes de gestion et les processus de production, il serait économiquement viable de produire à nouveau en France, une part importante des biens que nous consommons. Une relance massive de l’industrie manufacturière pourrait constituer l’un des rares moyens de combattre ce déséquilibre structurel et de recréer un environnement qui offrirait plus de compatibilité entre offre d’emploi et demande. Cela procurerait un nombre important de postes à des personnels peu diplômés et peu ou moyennement qualifiés, premières victimes du chômage, mais aussi beaucoup d’emplois très qualifiés. A terme, l’augmentation du nombre de cotisants, préserverait les régimes de protection sociale, diminuerait les déficits publics et permettrait de réduire les charges salariales et patronales. 

Mais, bien que l’industrie française ait payé un lourd tribut à l’Europe et à la mondialisation, la Commission Européenne s’opposerait à la relance de l’industrie manufacturière et arguerait que des aides sectorielles seraient susceptibles d’affecter les échanges entre les Etats membres. S’opposer aux décisions et à la politique européenne, envisager une sortie de l’euro et de l’UE ou accepter un chômage de masse, le débat interdit devra avoir lieu.  

UN TAUX DE CHÔMAGE CONFORME AUX RECOMMANDATIONS DE LA BCE

L’organisme de coopération et de développement économique (OCDE) et la Banque centrale Européenne (BCE) publient chaque année un indice établissant un lien entre taux de chômage et inflation. Celui-ci, le « Non accelerating inflation rate of unenployement » ou Nairu, indique à chaque pays développé, le taux de chômage minimum nécessaire à la stabilisation de l’inflation. 

Selon ce postulat, une baisse du chômage pourrait faire augmenter les salaires, donc les coûts de production, puis les prix de vente. L’augmentation des salaires pourrait faire croître la demande et ainsi impacter les prix de vente. Ces deux facteurs (augmentation des coûts et de la demande) seraient générateurs d’inflation et de dépréciation des capitaux. Cependant, si l’on considère que la plupart de nos biens de consommation ne sont plus produits en France, la théorie perd de sa cohérence. 

Quelle que soit la gravité de la situation économique au moment des estimations et quel que soit le niveau de chômage structurel ou conjoncturel, le taux, entre 1985 et 2014, a le plus souvent été proche de 9 %. 

Pour exemples, en 1985, la France redécouvrait la misère. Coluche lançait « Les Restos du cœur » et trente ans après l’hiver 1954, l’Abbé Pierre créait Emmaüs France et la Banque alimentaire. Le thème des SDF s’invitait dans l’actualité et choquait la France. Le taux de chômage, selon le gouvernement dirigé par Laurent Fabius, sous la présidence de François Mitterrand, approchait 10 % au 4ème trimestre et le nombre de chômeurs franchissait la barre des 2,5 millions. L’OCDE avait préconisé un taux de 9 %. 

En 1995 et 1996, sous la présidence de Jacques Chirac, notre pays comptait 3 millions de chômeurs depuis 1993 et déjà 1 million de rmistes. En septembre 1995, le premier ministre Alain Juppé s’engageait auprès de Bruxelles à ramener en 2 ans le déficit public à 3 % du PIB. En décembre, prés de 2 millions de français descendaient dans la rue pour protester contre son plan d’austérité. Soucieux de respecter la limite de déficit imposée par le traité de Maastricht, il s’empressait de brader une part de l’industrie française pour renflouer les caisses. La privatisation du joyau Pechiney (aluminium) faisait un flop et ne rapportait que 3,8 milliards de francs à l’État et Usinor-Sacilor, n’était vendu que 10 milliards. 

Puis Alain Juppé cédait en 1996 la première compagnie maritime française pour seulement 20 millions de francs après que l’Etat ait injecté 1,2 milliard de francs. Le premier ministre tentait en vain, la même année, de vendre au Sud-Coréen Daewoo, pour 1 franc symbolique, le fleuron technologique national Thomson après une recapitalisation de l’Etat à hauteur de 11 milliards de francs. Entre 1995 et 1996, le taux de chômage oscillait entre 1,2 et 10,7 % et flirtait avec le taux estimé de l’OCDE de 10,3 %. 

Aujourd’hui le chômage atteint un sommet inégalé et l’OCDE continue d’indiquer des taux semblables : 9,2 % pour 2013, 2014 et 2015. 

L’écart peu élevé durant trois décennies entre le taux de chômage moyen de 10 % selon la norme du Bureau international du Travail (BIT) et celui de 9 % déterminé par l’OCDE, pose questions. Une volonté affichée d’éradiquer le chômage est-elle compatible avec le respect des recommandations de cet organisme ? Les représentants des gouvernements qui, depuis trente-cinq ans, affirment lors de discours enflammés, que la lutte contre le chômage constitue une priorité et une cause nationale, sont-ils sincères ? 

Par ailleurs, il est assez peu probable que l’OCDE, la BCE et le FMI ignorent la réalité du chômage. Ceux-ci ont certainement conscience que le taux de 9 ou 10 % de chômage, selon la norme du BIT, peu éloigné du taux moyen qu’ils préconisent, masque un chiffre de plus 9 millions de demandeurs d’emploi. Pourtant, à travers leurs recommandations, ils demandent implicitement à l’État Français de s’abstenir de mettre en place des politiques efficiences pour l’emploi. Ainsi, l’absence de relance de l’industrie manufacturière contribue à maintenir plus ou moins au chômage une part importante de la population active. Peut-être faut-il voir là, l’une des raisons de la désindustrialisation de la France. 

Deux prix Nobel d’économie dénonçaient déjà au début des années 2000, l’inefficacité de cet indicateur dont Joseph Stiglitz (« Cet indice n'est plus pertinent pour déterminer le lien entre chômage et inflation »,« La foi en ce lien a pour effet d'empêcher les gouvernements de mettre en œuvre des politiques qui réduiraient le chômage ») et Franco Modigliani, qui fut, au milieu des années 70, l’un des deux créateurs du Nairu (« Le chômage est principalement le résultat de politiques macroéconomiques erronées inspirées par une crainte obsessionnelle de l’inflation et une attitude considérant le chômage comme quantité négligeable »).

DES DÉCENNIES DE DÉSINDUSTRIALISATION

Le chiffre de 1 million de demandeurs d’emploi atteint en 1977, représentait un taux de chômage de 4,3 % de la population active. On estime généralement que ce niveau s’apparente au plein emploi. Mais la désindustrialisation et la délocalisation de l’industrie manufacturière dés le début des années 70, menées de concert par gouvernements et groupe industriels, ont fait bondir le taux de chômage quelques années plus tard. Le premier choc pétrolier de 1973 et la constante et importante augmentation de la population active, notamment due à l’incidence de l’évolution démographique, ont accentué cette tendance. 

Le discours politique promettait déjà de lutter contre le chômage et prédisait une mutation vers une nouvelle ère qui générerait les emplois de demain. L’antienne néolibérale d’une nouvelle France qui remplacerait l’industrie manufacturière des biens de consommation par une nouvelle industrie aux contours flous et incertains, mais s’appuyant sur l’innovation, les R&D, l’énergie, la formation, les nouvelles technologies et autres produits à haute valeur ajoutée, était, et demeure récurrente. 

Après quatre décennies de politique économique néolibérale européiste et mondialiste, le bilan est amer : des générations entières de Français ont subi de graves difficultés d’emploi tout au long de leurs vies professionnelles et des millions de travailleurs, moins qualifiés, moins jeunes ou demeurant dans des régions sinistrées, ont connu des vies de misère, alternant petits boulots, emplois temporaires et minimas sociaux. 

Aujourd’hui, bon nombre de leurs enfants ont hérité de cette précarité. La paupérisation semble maintenant s’être définitivement installée dans de nombreux territoires entièrement dévastés et économiquement exsangues. La délocalisation n’épargne aucun secteur : produits de transition énergétique, hautes technologies, automobile, électroménager, industrie pharmaceutique, luxe, hélicoptères et avions Airbus ou Dassault, TGV, énergie et centrales nucléaires, R&D, services etc. 

Les transferts de technologies de nos derniers fleurons, l’absence d’aide à l’industrie manufacturière traditionnelle et la vente à nos concurrents, des dernières usines et de leurs savoir-faire, pourraient bientôt, si la France ne change pas fondamentalement sa politique économique, venir à bout de ce qu’il reste de l’industrie et de la population ouvrière mais ainsi condamner définitivement notre pays au chômage de masse et à la régression sociale.  
 
                                                   Francis JOURNOT

* Francis Journot est membre des associations à but non lucratif et sans appartenance politique : www.vetements-made-in-france.comwww.rendez-nous-notre-industrie.comwww.international-convention-for-minimum-wage.org. 

 

      

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